Récemment j’ai éprouvé le besoin d’exprimer mon ressenti vis-à-vis d’un conflit qui venait d’avoir lieu. Souvent dans ce genre de situation, je suis confrontée à un mur d’incompréhension mâtiné d’un peu d’exaspération. “Tu exagères” , “Mais grandis un peu !” “Arrête de nous souler avec ton mélodrama !” et autres yeux levés au ciel constituent les réactions les plus courtoises que je peux espérer. D’autres, selon le contexte, peuvent s’avérer beaucoup plus violentes.
Et ce matin, je tombe sur cette vidéo :
Cette chronique a été diffusée sur France Inter à l’occasion du 13 janvier, journée nationale (et non pas mondiale, comme l’explique cet article) de l’hypersensibilité.
Et franchement… y a rien qui va. Mais alors rien !
Cette chronique est choquante, elle caricature mais n’explique rien. Comment voulez-vous que des personnes qui ne connaissent ni l’hypersensibilité ni l’hyperémotivité y entendent quoi que ce soit ? De tels propos ne peuvent qu’entretenir l’incompréhension et la stigmatisation.
Alors comme ça me gonfle prodigieusement, j’ai décidé, pour une fois, de prendre la parole en tant que personne hyperémotive.
Pour expliquer, mais surtout pour témoigner.
L’hyperémotivité, c’est quoi ?
Première chose, vous avez sans doute déjà beaucoup entendu parler d’hypersensibilité, mais probablement peu, voir pas du tout d’hyperémotivité.
C’est parce que “hypersensibilité” est un terme fourre-tout sous lequel, la plupart du temps, on englobe également la notion d’hyperémotivité.
Pendant longtemps j’ai moi-même parlé d’hypersensibilité, mais aujourd’hui j’essaye au maximum de distinguer les deux :
L‘hypersensibilité est la capacité à percevoir les choses sensibles (bruits, odeurs,…) de manière bien plus intense que la moyenne des gens.
L’hyperémotivité est la capacité à ressentir les émotions de manière bien plus intense que la moyenne des gens.
Je connais une personne hypersensible, qui a notamment besoin de s’isoler quand les stimuli sensoriels deviennent trop éprouvants pour les nerfs, mais je ne le suis pas moi-même. En revanche, je suis hyperémotive. Et c’est pour cette raison que je tiens à ce que la distinction soit faite : ce dont cette personne souffre et ce dont je souffre moi, sont deux choses tout à fait différentes qui n’entrainent pas les mêmes difficultés au quotidien.
Pour mieux comprendre l’hyperémotivité, essayez de vous remémorer un souvenir heureux. C’est bon vous le tenez ? Alors maintenant essayez de vous rappeler l’émotion que vous avez ressentie. Et multipliez son intensité par 10.
Maintenant, essayez de faire de même avec un souvenir douloureux. Ça fait mal, pas vrai ? De quoi vous mettre à terre !
Imaginez ça chaque jour, à chaque instant de votre vie : vos émotions multipliées par 10, 15 ou 20. Il y a de quoi en devenir dingue. En ce qui me concerne, j’en ai développé quelques névroses.
L’hyperémotivité au quotidien
Avant toute chose, je parle en tant qu’hyperémotive, mais je n’ai bien sûr pas la prétention de parler au nom de toutes les personnes hyperémotives. Certainement pas ! Ceci ne constitue que mon témoignage personnel. Nous avons toutes et tous nos propres vécus, nos propres expériences, et les stratégies de protection que nous avons été amenés à hériter ne seront pas les mêmes d’un individu l’autre.
Mon enfance
Mon hyperémotivité était déjà manifeste dès mon enfance. Elle se traduisait par des pleurs et des “crises” quasi quotidiens, dès que j’éprouvais une contrariété ou une émotion quelconque.
J’aurais pu bien le vivre si mes parents avaient eu les bonnes réactions, ce qui n’a pas été le cas. Jamais ils ne se sont posé la question de ces pleurs répétés, jamais ils ne s’en sont inquiétés. Pour eux, ce n’était rien de plus que des “caprices de gamins”. Ils me laissaient bouder dans mon coin, en me disant : “Pleure, tu pisseras moins !“
Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas du tout tournée vers les enfants. Mais j’ai beaucoup d’empathie pour eux quand j’en vois un qui pleure et un adulte qui le dispute ; ça me crispe un peu.
La façon dont on gronde nos enfants, dont on les pousse à refouler leurs émotions parce qu’elles nous gênent, au lieu de les écouter et d’essayer de les comprendre est, pour moi, problématique. Je dirais même que c’est révélateur d’un certain dégoût, d’un certain rejet, à l’égard des émotions et de leur expression que nous avons dans notre société.
Si vous avez un enfant, s’il vous plait, écoutez-le. Essayez de comprendre le pourquoi du comment. S’il pleure beaucoup, ou s’il a tendance à réagir d’une manière qui vous semble excessive à des évènements bénins, c’est peut-être qu’il est hypersensible ou hyperémotif.
Mon adolescence
L’adolescence a sans conteste été la pire période de ma vie. Ce n’est déjà pas simple à gérer, mais alors quand vous vous trainez le boulet de vos émotions exacerbées en permanence, c’est pire encore.
Du collège au lycée, j’ai été victime de harcèlement scolaire. J’étais la proie facile, la victime désignée, celle qui réagissait comme une hystérique et qui fondait facilement en larmes. Un jouet idéal.
C’est à cette période que j’ai vraiment commencé à refouler mes émotions. J’en ai même nié une, la colère, que j’ai été totalement incapable de ressentir jusqu’à peu. La colère était pour moi un sentiment dangereux, car elle était susceptible de me pousser à une confrontation que j’étais certaine de perdre et qui aurait entrainé beaucoup de souffrance. Résultat, pendant des années, à chaque que je me trouvais dans une situation où j’aurais pu légitimement éprouver de la colère, j’éprouvais autre chose à la place, généralement de la peine. C’était automatique, immédiat et totalement inconscient.
J’ai développé une anxiété qui a eu des répercussions sur ma santé ainsi qu’une phobie scolaire qui m’a poussé à saboter ma scolarité.
Je tombais malade très régulièrement – et lorsque je ne l’étais pas, je faisais semblant de l’être. A partir du lycée, j’ai commencé à avoir de plus en plus souvent mal au ventre, jusqu’à ce que cette douleur devienne constante, du matin au soir. Cela a duré jusqu’à ce que je décide d’abandonner la fac.
Dès le collège, mes notes ont chuté. Au début, c’était conscient, il ne fallait pas que j’ai de bonnes notes, sous aucun prétexte, pour ne pas être traitée d’intello. Et puis bien vite, j’ai pris du retard. Ma moyenne a chuté à 8/20 dans de nombreuses matières, et cela a totalement détruit l’estime que j’avais de moi-même. J’ai redoublé ma seconde, ainsi que ma terminale, et je n’ai obtenu le bac qu’au rattrapage.
Bref, mon hyperémotivité a décuplé les effets du harcèlement, détruisant mon amour propre, affectant ma santé et me menant à ce que je considère comme un échec scolaire.
Ma vie d’adulte
Après le bac et ma première année avortée à la faculté de lettres, ma phobie scolaire s’est muée en phobie sociale (peur du jugement et du regard des autres).
Cette phobie a eu des répercussions sur mon entrée dans la vie active (que j’ai totalement saboté, à l’image de ma scolarité) et a lourdement impacté mon quotidien pendant plusieurs années. Aujourd’hui, grâce à mon emploi dans le commerce, elle est beaucoup moins présente, même si je ne suis toujours pas à l’abri d’une crise de panique.
N’étant plus sous le feu nourri du harcèlement, j’ai réussi, petit à petit, avec le temps, à reprendre confiance en moi et en mes capacités. Cette prise de confiance a eu pour effet de me réconcilier avec mes émotions. Aujourd’hui, je m’autorise à nouveau à les ressentir pleinement, y compris la colère – même si j’ai toujours un peu de mal à “m’autoriser” ce sentiment-là.
Globalement, j’essaye de m’accepter comme je suis, c’est à dire une personne qui vit ses émotions avec intensité. Et je fais de mon mieux pour envoyer chier tous les connards qui considèrent que les émotions sont une faiblesse.
J’ai toujours beaucoup de mal avec les relations sociales. J’essaye de canaliser au mieux mes émotions par la rationalisation : si quelque chose m’affecte, j’essaye de ne pas réagir tout de suite, le temps de me calmer, de me poser et de réfléchir à la meilleure réaction à avoir. Cela ne fonctionne pas toujours, et il m’arrive encore trop souvent de regretter une réaction à chaud.
Être hyperémotif dans notre monde
On dit que les personnes hyperémotives sont aussi très empathiques et bienveillantes.
Je ne pense pas parler pour tous, mais dans mon cas, il me semble que cette assertion est plutôt vraie – en tout cas, selon les situations.
L’empathie, tout comme la bienveillance, sont pour moi des armes défensives, que j’ai été “forcée” de développer. Car quand on est hyperémotif, être confronté aux émotions des autres est particulièrement éprouvant. Aussi, l’empathie et la bienveillance m’aident à comprendre les gens pour ainsi mieux éviter tout conflit qui me mettrait le moral au trente-sixième dessous.
L’hyperémotivité m’a sans doute ouvert autres et aux différences qui font l’individualité. Sans elle, je n’aurais probablement pas les mêmes engagements politiques et sociaux.
Je le disais plus haut, notre société a un gros problème avec l’expression des émotions. Une personne qui les exprime est perçue comme quelqu’un qui ne sait pas se contrôler, qui est faible et capricieuse. Ce sont généralement des personnes dont on se détourne, car on n’a pas envie d’affronter leurs émois. A l’inverse, une personne qui cache ses émotions est vue comme quelqu’un de fort, raisonné, qui maitrise sans doute aussi bien sa vie que ses sentiments et qui ira loin.
Je déteste cette mentalité. Hyper ou non, nous avons tous des émotions. Elles font partie de nous, de qui nous sommes. Beaucoup trop de gens se sentent mal parce qu’ils ne s’écoutent pas. Et beaucoup trop de gens vont mal parce qu’ils ne sont pas écoutés.
Pour le bien de tous, il est grand temps de faire des efforts.
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